L'expérience Sátántangó

La fresque contemplative de Béla Tarr, Sátántangó s'offre une ressortie en salle après une restauration numérique dirigée par le réalisateur lui-même. Le synopsis est très simple, et adapté du roman du même titre de László Krasznahorkai paru en 1985. Dans un village perdu au coeur de la plaine hongroise, les habitants luttent quotidiennement contre le vent et l'incessante pluie d'automne. Dans la ferme collective démantelée et livrée à l'abandon, les complots vont bon train lorsqu'une rumeur annonce le retour de deux hommes passés pour morts. Bouleversés par cette nouvelle, certains habitants y voient l'arrivée d'un messie, d'autres celle de Satan...

Les près de sept heures et demie de film m'avaient un peu fait hésiter, et puis je m'étais souvenue que le cinéma était la meilleur excuse que j'avais pour ne pas réussir brillamment mes études. Bon et puis la carte ugc illimité m'avait aussi rappelé que je n'aurais aucun scrupule à quitter la salle si c'était trop long. Mes amies m'avaient dit "tu fais vraiment n'importe quoi" et elles n'avaient sûrement pas tort. Il n'empêche que Sátántangó fut pour moi une expérience cinématographique difficilement oubliable.


Le film était diffusé au Reflet Médicis en trois parties, et j'ai d'abord vu les deux premières un dimanche après-midi puis la troisième partie le mardi suivant. J'ai failli partir après la fin de la première partie (deux heures quinze tout de même), mais je me suis finalement accrochée et la partie centrale a été celle que j'ai préféré. Sans divulguer le scénario, tout le noeud du récit se trouve en effet dans cette partie centrale, et c'est là que toute la première partie a aussi pris sens pour moi.

L'existence a priori immuable de ces personnages isolés dans la campagne est alors bouleversé par le retour d'Irimias, dont on ne sait pas trop s'il est un anarchiste venu sauver le village ou un très grand escroc qui les perdra tous. Il signe dans tous les cas la fin de la vie en communauté collectiviste de ce petit village. On perçoit au fur à mesure du film toute l'ampleur de ce déchirement, et par là même, la chute du communisme en Europe de l'Est et ses répercussions jusque dans les plaines hongroises.

Ce film est une invitation à prendre le temps d'observer, de se laisser submerger, de comprendre toute l'intensité des relations humaines ici montrées. Tout semble se dérouler en temps réel, et le film nous invite à plusieurs reprises à revoir des scènes dont nous n'aurions pas encore perçu toute l'ampleur dramatique. Il faut donc se plonger pleinement dans le film dans son entièreté pour pouvoir mesurer le drame de la condition humaine qui nous est présenté ici.

De par son format et son approche, le film permet donc d'immerger les spectateurs dans cet effondrement. Béla Tarr fait un usage irréprochable du langage cinématographique, à travers de longs plans séquences, des scènes parfois terriblement cruelles ou encore l'apport des éléments naturels comme la pluie ou le vent, qui donnent au film une puissance mise au service d'une représentation poignante du drame humain. En bref, un bloc de sept heures trente à voir au moins une fois dans sa vie.


Sátántangó réalisé par Béla Tarr, avec Mihaly Vig, Putyi Horváth, Eva Almassy Albert. Ressortie en salle le 12 février. 

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