Pourquoi les captations de spectacles nous ennuient

Le confinement a été l'occasion pour les créateur·rice·s de théâtre de faire preuve d'un débordement d'imagination encore jamais vu pour permettre l'accès à la culture de chez soi. À croire qu'il fallait une pandémie mondiale pour que la question de l'accès au spectacle vivant pour tous soit posée sérieusement. Cependant, malgré tout l'intérêt de ces propositions, les tentatives de lien avec le public à travers des diffusions de captations de pièces ne sauraient suffire (et de nombreux théâtres l'ont compris, qui tentent de maintenir un lien réellement vivant avec leurs spectateur·rice·s), car la captation n'est pas du théâtre.



En cherchant à dépouiller le théâtre jusqu'à l'os, le metteur en scène Jerzy Grotowski a fait émerger un théâtre pauvre, qui ne conserve que son essence. Il a ainsi retiré les décors, la musique enregistrée, le maquillage, les costumes, pour ne garder que le théâtre dans sa criante nudité : la rencontre entre au moins un·e comédien·ne et au moins un·e spectateur·rice. Cette rencontre n'est pas possible à travers la captation. La captation d'une pièce de théâtre, ça n'est déjà plus du théâtre, car ça n'est plus ce qui se produit dans l'instant. C'est montrer quelque chose qui, au moment où on le regarde, n'existe plus, qui s'apparente donc au cinéma mais sans pouvoir réellement y prétendre, car il ne défend pas les mêmes objectifs. La captation cherche à nous faire oublier que ce que nous regardons ne se déroule pas sous nos yeux, elle fait donc appel à une forme de montage particulier qui se veut le plus transparent possible. 

Par ailleurs, avec cette déferlante de captations est venue une forme d'injonction à rattraper toutes les pièces qu'on avait pas vu (et Dieu sait qu'elles sont nombreuses quand on a grandi en milieu rural) qui s'inscrit dans une injonction plus générale de productivité en temps de confinement et qui interroge grandement notre rapport à la culture. Les productions culturelles et artistiques sont-elles des produits de consommation comme les autres ? Pour aimer le théâtre, doit-on regarder chaque soir le live de la Comédie-Française ? Qui s'intéresse encore au théâtre quand il n'est plus que retransmission filmée ? 

Bien entendu, ces captations sont des outils précieux, des archives merveilleuses qui permettent de garder une trace, de raviver des souvenirs, de travailler sur une mise en scène ou une scénographie, d'en étudier les détails, et leur intérêt n'est pas négligeable, surtout si l'on ne peut pas sortir de chez soi. Elles forment un patrimoine théâtral indispensable, rappelant que le théâtre ne s'arrête pas au texte, qu'on peut aussi faire du théâtre sans aucun texte. Mais cela ne saurait suffire. Il y a une véritable urgence à réinventer de nouvelles manières de faire du théâtre qui soient compatibles avec les conditions sanitaires auxquelles nous devons faire face. Alors, que faire ? Accepter ces nouvelles contraintes et en jouer, pour proposer quelque chose de nouveau, et qui permette à l'art de retrouver sa place. Profitons-en pour en revenir aux fondements du théâtre : la rencontre entre un·e artiste et son public, sans qui le théâtre n'est rien. 

Des initiatives émergent déjà, des tentatives de proposer quelque chose de différent. On peut citer par exemple le spectacle Be Arielle F de Simon Senn, qui mute et devient un Live stream Arielle F. au Théâtre Vidy-Lausanne, diffusé sur zoom en direct, avec un public limité recréant ainsi cette relation entre public et artiste, ou encore la reprise confinée en vidéo du spectacle Fées de David Bobée, disponible sur le site du CDN Normandie-Rouen. Sonia Chiambretto et Yoann Thommercel proposent ainsi 33 questions pour recommencer et posent ainsi les bases d'une réflexion sur l'avenir du théâtre. "Être ou ne pas être : telle est la question. Mais pour combien de temps encore ?". Le théâtre Am Stram Gram de Genève a, tout au long du confinement, partagé des articles, vidéos et enregistrements sur son blog L'Assemblée Invisible, qui proposait à leurs (jeunes) spectateur·rice·s des activités pour s'occuper pendant le confinement. 


Quel sera le théâtre de demain, et quel public attirera-t-il ? Parviendra-t-il à renouveler son public et à attirer celleux qu'il a toujours repoussé loin de ses salles ? Ces questions devraient animer tous·tes celles et ceux qui veulent participer à la réinvention d'un art qui plus que jamais est et sera indispensable et ne saurait se limiter à des retransmissions en vidéos. 

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